Pollution généralisée, effondrement de la biodiversité, diminution des ressources… tous les maux que nous faisons subir à l’ensemble du vivant nous incombent, et pourtant nous ne faisons pas grand chose pour y remédier. Quand nous prenons conscience de cela, il n’est pas rare que cela engendre de l’éco-anxiété. Loin d’être une mode ou une forme de spleen contemporain, l’éco-anxiété semble être le mal grandissant de ces dernières années. Dans une certaine mesure, c’est plutôt positif…
C’est en 1996 que cette notion a été conceptualisée par Véronique Lapaige, médecin-chercheure en santé publique et en santé mentale. Il s’agit d’une forme d’anxiété plus ou moins sévère causée par la peur de l’avenir face aux enjeux écologiques.
De manière générale, l’éco-anxiété est l’expression de fortes émotions (angoisse, peur, frustration, tristesse, colère, impuissance, culpabilité, stress…) face à la dégradation de l’état de la planète et à un sentiment d’inaction ou d’insuffisance des actions prises en faveur du climat, par les gouvernements et les populations.
Les symptômes sont multiples et ne s’arrêtent pas à l’anxiété : ruminations, isolement, attaques de panique, insomnies, sentiment de perte de contrôle ou de perte de sens… Chez les éco-anxieux·ses, des idées comme la mort et la fin du monde sont prépondérantes.
« L’origine de l’éco-anxiété est un élargissement du champ de conscience : ce sont des personnes qui, tout à coup, réalisent que l’humanité est en train de se tirer une balle dans le pied avec son mode de fonctionnement actuel », explique le psychologue Pierre-Éric Sutter. « L’éco-anxiété n’est pas une pathologie psychiatrique, mais c’est un état de stress intense qui peut conduire à des maladies telles que la dépression », poursuit le spécialiste, qui reçoit de plus en plus de personnes atteintes de ce mal dans son cabinet. En même temps, n’est-ce pas normal quand on voit la vitesse à laquelle se dégradent les écosystèmes et la lenteur à laquelle agissent les gouvernements ?
Alors que les anciennes générations pensaient surtout à l’avenir de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, on assiste aujourd’hui à une prise de conscience collective sur le fait que le changement climatique puisse déjà affecter notre quotidien. Même si toutes les catégories d’âge sont affectées, les jeunes sont particulièrement touchés : les 3/4 sont effrayés par le futur, 1/2 juge que la sécurité de sa famille est menacée et 4/10 pensent ne jamais avoir d’enfants. Ils cumulent un sentiment d’impuissance avec l’impression d’avoir été trahis par les générations précédentes.
L’éco-anxiété est une réaction saine dans un monde qui s’ignore fou.
Charline Schmerber, psychologue
Et si l’éco-anxiété n’était pas qu’un problème mais faisait partie de la solution ?
Évidemment, si elle est trop prégnante, l’éco-anxiété peut mener à l’inaction et à la paralysie, mais elle peut aussi être utilisée comme un moteur pour changer les choses.
Selon Véronique Lapaige (qui a conceptualisé la notion d’éco-anxiété) « se sentir responsable est indispensable. Il ne faut donc pas voir l’éco-anxiété uniquement comme un problème mais aussi comme un moteur pour changer les choses. Ce sentiment conduit les gens à adhérer à certaines valeurs, à un engagement intérieur. Ils vont prendre position dans le débat public, se rassembler et un leadership collectif peut alors émerger. »
L’éco-anxiété n’est ni une pathologie, ni une maladie, mais une forme de sensibilité qui est le signe d’une conscience lucide. Si cette lucidité a un prix, c’est aussi une chance qui permet de se préparer au mieux à ce qui arrive et d’agir maintenant pour faire advenir un futur souhaitable.
Les solutions pour faire face à son éco-anxiété
Apprendre à accueillir les diverses émotions
S’écouter, prendre du temps pour soi, passer du temps en pleine nature pour bénéficier de ses vertus apaisantes.
Partager ses inquiétudes – ne pas se couper du monde – regarder les témoignages d’autres éco-anxieux·ses
Parler de ses angoisses avec une tierce personne est souvent salvateur, qu’il s’agisse d’un ami, d’un collège ou d’un membre de sa famille.
Éviter l’isolement social « Suite à leur prise de conscience, certains éco-anxieux se mettent à accabler leur entourage, en expliquant qu’ils sont tous des nuls, qui ne voient pas que l’humanité court à sa perte, etc… Ce qui, au final, empire leur mal-être » (Pierre-Éric Sutter). Mais au contraire s’entourer de personnes sensibles à ces questions pour sortir de la solitude.
Regarder ou lire des témoignages d’éco-anxieux qui s’en sont sortis. « Cela donne des solutions et de l’espoir » (Pierre-Éric Sutter).
Trouver l’équilibre entre être bien informé et trop consommer d’informations
La boulimie informationnelle que permettent aujourd’hui les réseaux sociaux et les médias peut être génératrice de stress. Parfois il est bénéfique de se couper totalement de l’actualité le temps de recharger les batteries. Et dans tous les cas, il faut bien choisir ses sources d’informations. Privilégier les médias positifs, ludiques, sourcés…
S’engager dans un projet en faveur de l’environnement
Passer à l’action est le remède le plus puissant contre l’éco-anxiété. Cela peut par exemple être de manger moins de viande, de mieux trier ses déchets, de militer dans une association écologique, etc… « Il existe un lien entre le niveau d’engagement dans l’action et notre façon de percevoir les choses. Les personnes ayant par exemple un degré de lucidité très important sans aucune sphère de réalisations concrètes sont celles chez qui le niveau d’angoisse environnementale est maximal » (Marion Robin, pédopsychiatre).
Préserver son équilibre de vie
Si le militantisme peut être un bon anti-stress environnemental, il faut tout de même faire attention à ne pas tomber dans un engagement trop extrême, rejetant complètement tout ce qui ne correspond pas aux valeurs écologiques. Il faut rester bienveillant·e envers soi-même ( et les autres) : le chemin peut être long et sinueux, et le but n’est pas de s’épuiser en route pour retomber dans l’anxiété et la culpabilisation. Il n’y a que les gens profondément heureux qui peuvent créer des mouvements que l’on a envie de suivre.
Consulter un psy
De nombreux éco-anxieux arrivent à juguler leurs angoisses seuls. Néanmoins, dans certains cas, consulter un psychologue peut s’avérer nécessaire. « Il faut prendre rendez-vous avec un médecin quand on a l’impression de perdre vraiment pied, et que les actions que l’on a pu mettre en place seul ne suffisent plus à maîtriser les émotions négatives » (Marion Robin).
Extraits d’une interview croisée entre Barbara Bonnefoy (maîtresse de conférences au Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale à l’Université Paris Nanterre) et Charline Schmerber (psychothérapeute), pour le magazine Kaizen.
Comment sortir de cette détresse psychique qu’est l’éco-anxiété ?
CS : Cela passe par le fait de pouvoir accueillir les différentes émotions. Il est important de pouvoir poser sa peine, aller au fond de ce ressenti d’impuissance pour retrouver du sens. Il n’y a pas de parcours-type. La solastalgie peut faire écho à des traumatismes individuels, propres à chacun.e. L’idée n’est pas de nier le problème environnemental, mais de retrouver l’action. C’est le sentiment d’impuissance sur sa vie personnelle qui fait peur. Quand on sait que cela va changer, cela permet d’agir ! Il faut être lucide, dire les choses. Plus on se prépare tôt à l’effondrement, même si le processus sera long et progressif, plus on pourra réfléchir à ce qui va changer.
Pour sortir de l’éco-anxiété, il faut donc être dans l’action. Pensez-vous que les actions de désobéissance civile, qui se multiplient aujourd’hui, soient des moteurs efficaces ?
BB : Tout dépend de l’action. En psychologie, on utilise le modèle du stress par exemple. Quand je dois m’adapter à une situation stressante, qui excède mes ressources, j’ai trois réactions possibles : soit je suis dans l’émotion (et je pense que c’est là que réside l’éco-anxiété) ; soit je suis dans le déni (je continue comme si de rien n’était) ; soit je suis dans l’action (je trouve des solutions). Je pense que la désobéissance civile est une forme de solution. Elle permet d’agir. Vous avez différentes formes d’action : le changement du style de vie, des actions plus radicales, etc. […]
CS : Je pense que cela passe en partie par les petits gestes, l’action individuelle au quotidien. On a besoin de ressentir que notre démarche fait sens, pour retrouver cet élan vital d’aller de l’avant. J’invite également à rejoindre des réseaux et ne pas rester isolé.e. C’est important de tisser des liens, de se rapprocher de groupes ou d’actions qui aient du sens pour soi. C’est l’individualisme et la compétition qui nous ont perdu.e.s. Il faut retrouver l’entraide. […]
CS : Pour sortir de cette éco-anxiété, on peut réfléchir au positif, à ce que l’on pourra y gagner, de quelle manière on peut transformer sa vie et avoir un impact. Par exemple, je pense que notre rapport au temps va changer, que nous allons prendre plus de temps, ce qui est une bonne chose ! Dans Le Bug humain, Sébastien Bohler parle de notre société de l’immédiateté. Je pense que ce mode de consommation n’est pas respectueux de ce dont l’humain a besoin. Et il est important de pouvoir changer quelque chose qui n’est pas bon pour soi. En étant lucides, nous pouvons être les co-constructeur.trice.s de ce monde qui va émerger !
Retrouve l’interview complète de Kaizen ici : Comment dépasser l’éco-anxiété ?
Mon témoignage
Depuis ma prise de conscience en 2017, je suis passée par des hauts ↑ et des bas ↓ :
Les ↑ c’est toutes les petites victoires du quotidien (le volume de la poubelle qui se réduit, les changements d’habitude qui s’ancrent, continuer d’apprendre tous les jours, ne plus se faire avoir par les sirènes du marketing…), toutes les merveilleuses personnes rencontrées au détour d’une réunion/d’une conférence/d’une formation… et les relations qui se sont tissées, le sentiment de satisfaction de « contribuer » à la cause, participer à l’organisation de grands événements de sensibilisation…
Les ↓ c’est le sentiment d’impuissance parfois, l’inaction de notre gouvernement souvent, savoir qu’il est trop tard pour certaines causes tout le temps !
Alors oui, parfois il m’arrive d’être totalement au fond du trou, surtout quand les mauvaises nouvelles s’accumulent. Dans ce cas je me fait une détox médiatique et je me concentre sur les initiatives positives et inspirantes. J’ai aussi appris à dompter les algorithmes de recommandation. Quand auparavant j’étais noyée sous un flot d’informations écolo souvent anxiogènes, j’ai appris à prioriser des médias positifs mais je suis surtout sortie de la sphère écologique pour suivre aussi des artistes (chanteurs·ses, danseurs·ses, photographes…), des comptes qui parlent de la nature, de spiritualité, et bien sûr des vidéos de 🐱 parce que ça c’est fun 🤣
Une chose est certaine, je trouve mon équilibre dans l’action, les personnes que je côtoie et la conviction qu’ensemble nous pouvons dessiner un futur plus enviable.
L’équilibre réside aussi dans le fait d’être alignée entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. Ce qui n’était pas franchement le cas entre mon discours zéro déchet et le fait de travailler dans la grande distribution !
Avec les années, j’ai réalisé que l’action individuelle est primordiale, mais pour que le changement soit efficace, il doit être collectif. Mon objectif est donc de continuer les actions de sensibilisation, avec l’espoir que de plus en plus de personnes y seront sensibles et auront les cartes en main pour passer à l’action et s’emparer de la lutte contre le changement climatique. Pour nous-mêmes, pour les civilisations qui n’y sont pour rien et qui pourtant subissent, pour les générations futures, pour la défense du vivant.
Cette volonté est plus que confortée par l’étude de MyCO2 qui démontre que la connaissance et la compréhension des ordres de grandeur constituent des clés déterminantes pour réduire son empreinte carbone et agir face au changement climatique ! 🌏

👉 2 tonnes de CO2eq : c’est la différence qu’il y a entre l’empreinte carbone d’une personne se disant “sans connaissance” à une conférence MyCO2 et une personne se disant “bien renseignée”, soit une empreinte carbone 20% plus faible !
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Si tu penses souffrir d’éco-anxiété mais que tu n’as personne avec qui en parler, n’hésite pas à rentrer en contact avec moi, nous pourrons en discuter ensemble.
Un peu plus à lire-regarder-écouter :
- Article de Reporterre : Déprimé par la crise climatique? Voici comment soigner l’éco-anxiété
- Podcast de l’émission Grand bien vous fasse ! de France Inter : Comment soigner l’éco-anxiété ?
- Podcast de Charline Schmerber, psychologue : Accueillir ses émotions face au changement climatique
- Conférence de On est Prêt : L’éco-anxiété, une voie pour passer à l’action ?
- Vidéo de Soif de Sens : Eco-Anxiété | Pourquoi Je Vais Mieux
