Le secteur agricole est en crise, et cela fait plusieurs années que ça dure ! Journées de travail à rallonge, hausse des charges, les revenus qui ne suivent pas, concurrence étrangère, contraintes environnementales… Comment a évolué notre agriculture depuis l’après-guerre ? Que demandent les agriculteur·rices et quelle a été la réponse du gouvernement ? Agriculture et écologie sont-elles incompatibles ?
Les agriculteur·rices se retrouvent coincer dans un système
Cette crise agricole est le résultat de choix politiques et économiques successifs, opérés depuis des décennies.
Extrait de « Quelle agriculture voulons-nous ? » de Damien Deville, géographe et anthropologue de la nature ->
« À la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, la France, suivie de l’Europe des sept nations, choisit de favoriser, dans ses politiques de développement, des filières jugées stratégiques pour sa souveraineté alimentaire et la compétitivité économique des territoires. Deux piliers lui permettent alors de modifier complètement le visage de l’agriculture européenne : moderniser et maximiser la production, et protéger les prix de vente par une taxe sur les produits importées et par des aides sur les productions destinées à l’export.
Ces filières, vous les connaissez ! Elles s’observent d’un paysage à l’autre, elles caractérisent nos quotidiens et les rayons de nos supermarchés : ce sont blé et l’orge, la betterave et le colza, le maïs et la tomate, le lait, le porc et la volaille.
Cette double politique a fonctionné pendant plusieurs décennies : elle a atteint nombre de ses objectifs ! La productivité agricole française, toutes filières confondues, a triplé en l’espace de 40 ans. L’offre s’est structurée et s’est démocratisée. Les agriculteurs et les agricultrices ont pu, un temps du moins, être rémunéré·es décemment et investir dans leurs outils de production.
Mais la réussite agricole française a également un visage caché : développer l’agriculture autour d’un petit nombre de filières présélectionnées a entraîné une standardisation des fermes, des territoires et des arts de la table. Petit à petit, les marges des agriculteur·rices ont fondu comme neige au soleil, tout comme leur capacité à être autonomes dans leur ferme. Beaucoup ont jeté l’éponge tandis que d’autres s’agrandissaient en rachetant les fermes de leurs territoires. La France est passé de 2,5 millions d’agriculteur·rices en 1955 à 389 000 aujourd’hui. Les 10 prochaines années, 100 000 agriculteurs et agricultrices devraient partir en retraite, sans certitude que les fermes seront reprises. » […] lire la suite

Infographie Les Colibris
Il en résulte que des fermes, relativement autonomes jusqu’au milieu du siècle dernier, se sont transformées en exploitations agricoles intégrées à une chaîne de production qui les dépassent. En amont, il y a les firmes semencières, les produits phytosanitaires, les engrais minéraux et agroéquipements… En aval, les coopératives, les industries agroalimentaires, les entreprises de négoce et de logistique, la grande distribution… Ces exploitations agricoles souffrent depuis longtemps d’une répartition inégale de la valeur au sein du système alimentaire. Sur 100 euros d’achats alimentaires, seuls 6,5 euros sont perçus par les agriculteurs et agricultrices françaises. Le reste étant majoritairement capté par des acteurs bénéficiant d’un fort pouvoir de négociation suite à la concentration économique des secteurs de l’agrofourniture, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution.
Ce que demandent les agriculteurs
Le point de départ de la grogne a été la fin de l’avantage fiscal sur le gazole non routier, utilisé pour leurs engins. Puis les manifestations et blocages se sont multipliés et la liste des revendications s’est allongée.
Il y a autant de revendications que d’agriculteur·rices, mais on peut les rassembler en quatre thématiques :
- Social : reconnaissance sociale, dignité, considération, les revenus sont très variables selon les productions et les territoires, certains agriculteurs étant très bien rémunérés de leur travail, et d’autres très mal, aujourd’hui 18% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté (source Insee)…
- Administratif : simplification administrative et accélération des procédures du versement des aides publiques…
- Environnemental : contraintes liées notamment au Pacte vert européen qui fixe des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone pour le secteur agricole d’ici à 2030 (les zones de sécurité pour la pulvérisation de pesticides, les jachères, les interdictions de produits toxiques…)
- Économique : hausse des charges liée à la guerre en Ukraine, conséquences de maladies animales, accords de libre-échange, relations commerciales avec les industriels et la grande distribution…
Les réponses apportées par le gouvernement
- Des « contrôles massifs » auprès des industriels et des distributeurs pour vérifier le respect de la loi Egalim qui vise à protéger la rémunération des agriculteurs ;
- Une enveloppe de 150 millions d’euros en soutien fiscal et social, une aide d’urgence de 50 millions d’euros pour la filière bio (pour 60 000 fermes bio, soit 833€/ferme!), un fonds d’urgence pour les viticulteurs (particulièrement en Occitanie) et le versement d’ici mi-mars de toutes les aides de la PAC dues aux agriculteurs ;
- L’annulation de la hausse de la taxe sur le gazole non routier ;
- La « mise en pause » du plan Ecophyto qui fixe des objectifs de baisse d’usage des pesticides ;
- L’opposition à la signature de l’accord commercial controversé entre l’Union européenne et les pays latino-américains du Mercosur ;
- Mais aussi des mesures pour « une souveraineté alimentaire » (c’est-à-dire le droit de produire notre propre alimentation sur notre territoire), un soutien face à la maladie hémorragique épizootique, des mesures de simplification administrative…
À la suite de ces annonces, les syndicats majoritaires FNSEA et Jeunes agriculteurs ont appelé à suspendre les blocages dans l’attente d’une mise en application rapide. Mais le mouvement continu, même s’il est moins médiatisé, car beaucoup n’ont pas eu les réponses qu’ils espéraient et certaines mesures sont contestées comme par exemple la grogne des apiculteur·rices et des riverain·es concernant la levée du plan Ecophyto.
Nous dénonçons le choix du gouvernement de traiter différemment les mobilisations et les organisations syndicales. Les dirigeants de la FNSEA ont obtenu du gouvernement des réponses liées à leurs intérêts personnels d’agri-managers spéculateurs. Ces derniers ont ainsi permis au gouvernement de s’exonérer de répondre à la question centrale de cette mobilisation : le revenu.
Confédération Paysanne
Les principaux syndicats agricoles
En France, ils sont cinq à se partager les sièges au sein des chambres d’agriculture, chacun ayant sa vision :
- La FNSEA – Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles – est le syndicat majoritaire depuis sa création après-guerre, elle prône une agriculture productiviste, intensive et mécanisée.
- Les Jeunes Agriculteurs (qui font liste commune avec la FNSEA) militent pour le renouvellement des générations d’exploitants, ainsi que pour la mécanisation et l’industrialisation.
- La Coordination Rurale défend l’identité paysanne, elle est opposée à la FNSEA, elle rejette de nombreuses mesures de protection de l’environnement ; ses membres sont coutumiers de méthodes violentes, voire illégales.
- La Confédération paysanne défend la paysannerie et une agriculture respectueuse de l’environnement.
- Le Mouvement de défense et de coordination des exploitations familiales (Modef) défend les petites et moyennes exploitations familiales.
Par facilité et démagogie, le gouvernement de Gabriel Attal a multiplié les renoncements écologiques supposés répondre à la colère des agriculteurs. Choisissant de mettre en scène une opposition caricaturale entre environnement et agriculture.
Association Agir pour l’environnement
Lien entre agriculture et écologie
Au niveau environnemental, les pratiques agricoles façonnent les paysages et ont des impacts sur l’état de la biodiversité et des espaces naturels. Ces impacts peuvent être positifs (maintien des prairies et bocages, puits de carbone, biodiversité des cultures et des semences…) ou bien négatifs (produits phytosanitaires, destruction d’espaces naturels et de la biodiversité, émissions de polluants, de gaz à effet de serre, érosion) en fonction des pratiques et directement dépendant de l’état de santé des écosystèmes agricoles.
Au niveau climatique, l’agriculture est un secteur fortement émetteur de Gaz à Effet de Serre. La principale source de GES n’est pas, contrairement aux autres secteurs, sa consommation d’énergie (il consomme seulement 3% de l’énergie finale en France) mais est liée à des processus naturels pour obtenir les produits animaux et végétaux (émissions de méthane et de protoxyde d’azote). Et dans le même temps, le secteur subit déjà fortement les effets du changement climatique. C’est le serpent qui se mord la queue !
Pourquoi mettre en opposition agriculture et écologie quand les deux sont aussi intimement liées ? Alors même que plusieurs luttes sont convergentes : contre les traités de libre échange, contre l’artificialisation des sols, pour des aides à l’installation et à la conversion, pour plus de produits bio et locaux dans les cantines…
« Il n’y a pas d’agriculture à long terme sans écologie, et l’écologie ne se fera pas sans les agriculteurs. »
Marine Tondelier, secrétaire nationale Les Écologistes
Les « écolos » n’ont rien contre les agriculteur·rices, au contraire ils soutiennent largement le mouvement, mais le dialogue entre les deux parties est parfois compliqué. Par contre, les « écolos » remettent en cause une certaine forme d’agriculture : l’agriculture intensive (de même que les élevages intensifs). Pourquoi ? A cause d’impacts environnementaux, sociaux et sanitaires négatifs. On peut citer par exemple la déforestation et le défrichement des zones forestières, l’usage massif d’engrais chimiques et de pesticides, la consommation exorbitante d’eau et la surexploitation des ressources naturelles…
Dans un contexte de crise climatique, il est urgent de revoir nos modes de production et d’opérer une transition vers d’autres formes d’agricultures (agriculture durable – raisonnée – biologique), mais ce changement ne se fera pas sans les agriculteur·rices et des mesures fortes de nos institutions pour les accompagner. L’ADEME rappelle que l’échelon régional et local est le plus pertinent pour agir sur l’agriculture et la préservation des écosystèmes agricoles. Les collectivités ont donc un rôle clé à jouer auprès des acteur·rices du secteur agricole (et également agroalimentaire) pour les inciter à adopter des pratiques plus durables et mettre en oeuvre une gestion raisonnée des ressources naturelles et des écosystèmes.
D’autres voies sont possibles pour opérer un renouveau agricole : revalorisation du métier de paysan·ne comme véritable gestionnaire des agro-écosystèmes, réhabilitation des filières perdues (protéines végétales, fertilisation animale, valorisation énergétique par exemple), … Des agriculteur·rices montrent déjà l’exemple comme dans la Drôme à la Ferme du Grand Laval (voir la vidéo ci-dessous extraite de l’émission « Aux arbres citoyens » et/ou écouter le podcast S2E14 construit en 4 parties).
Et en tant que consommateur·rices, nous pouvons soutenir le monde paysan en achetant local, bio, de saison et SURTOUT en circuits courts. Alors rdv sur les marchés, dans les Amap, dans les magasins de producteur·rices… et aux fourneaux !!
(Cyril Dion)
Analyse de la situation par l’association Agir pour l’environnement ->
« Par facilité et démagogie, le gouvernement de Gabriel Attal a multiplié les renoncements écologiques supposés répondre à la colère des agriculteurs.
Choisissant de mettre en scène une opposition caricaturale entre environnement et agriculture, le Premier ministre a ainsi suspendu le plan Ecophyto qui vise à réduire le recours aux pesticides. Il a également annoncé son soutien aux nouveaux OGM, plaidé pour une simplification du droit protégeant les haies, ou encore décidé de réduire les délais de recours juridiques qui permettaient d’empêcher des projets illégaux comme certaines méga-bassines ou les élevages industriels.
Ce grand bond en arrière politico-juridique ne prépare absolument pas l’agriculture à faire face aux enjeux climatiques et énergétiques de demain. Ce n’est pas en érigeant les écologistes comme les responsables de tous les maux dont est victime l’agriculture que nous trouverons ensemble les solutions permettant aux paysans de s’adapter aux crises écologiques.
Le Premier ministre a donc calmé une crise sociale au prix d’une crise écologique. Nous payerons cher ces petits arrangements avec la nature et notre incapacité à tenir compte des contraintes écologiques, avec lesquelles personne ne négociera, même en bloquant routes et autoroutes.
Cette semaine de colère agricole est un échec collectif.
Un échec des écologistes qui n’ont pas su trouver les mots et les solutions audibles par une profession agricole aux prises avec des injonctions contradictoires, appelée à produire plus et mieux avec moins d’aides. Un échec du monde agricole qui, en regardant dans le rétroviseur des trente glorieuses ne voit pas le mur écologique vers lequel il fonce. Un échec cinglant du politique qui s’est installé dans un courtermisme dont nous payerons les conséquences tôt ou tard.
L’opposition entre agriculteurs et écologistes est une construction politique. En effet, les associations écologistes comme Agir pour l’Environnement travaillent étroitement avec certains syndicats agricoles pour élaborer ensemble des solutions lucides, mais aussi, pour inventer et soutenir une transition massive vers l’agroécologie paysanne et l’agriculture biologique.
Même s’il est trop tôt pour tirer les enseignements de cette crise, nous devons constater que notre poids est insuffisant. Les écologistes n’ont jamais atteint la taille critique permettant de peser et créer un rapport de force. Aujourd’hui mais surtout demain, nous devons créer les conditions d’un mouvement fort de dizaines, centaines, de milliers d’adhérents ; au risque de continuer à avoir le tort d’avoir raison tout seul. »
Sources :
- Article de France Inter Soutien fiscal, pesticides, contrôles : les nouvelles mesures du gouvernement pour les agriculteurs
- Article Le Monde Agriculteurs en colère : qui sont les principaux syndicats agricoles ?
- Dossier de l’ADEME Agriculture – faits et enjeux
- Article de Greenly Les 5 pires exemples d’agriculture intensive
Pour aller plus loin :
- Article de la fondation GoodPlanet 3 minutes pour comprendre la crise agricole française
- Article de Slate Agriculture: derrière la crise, un problème de représentativité de la FNSEA
- Article de la LPO La biodiversité sacrifiée sur l’autel de la crise agricole
- Article Reporterre L’écologie peut sauver l’agriculture : voici comment
- Article Novethic Combiner agriculture et écologie rapporterait 10 000 milliards de dollars par an, selon un rapport scientifique inédit
- Vidéo du passage tv de Marine Tondelier dans l’émission Quotidien !
